• Les yeux fermés

    Les yeux fermés

    Voilà ce que je vois quand je ferme les yeux. 

    Il fait nuit. Une nuit comme celle des histoires de fantôme où les gens, enfermés chez eux à double tours,  attendent la peur au ventre que quelque chose vienne les chercher. Une nuit d'épouvante où l'on sait que quelque chose va se produire. Mais dont nous ignorons tout ; le pourquoi, le comment, la fin. Nous regardons tous en direction de la falaise. Il n'y a personne à part moi pourtant je sais, ou plutôt je sens, que je ne suis pas seul. C'est comme une présence, non pas dérangeante ou inquiétante, mais plutôt rassurante et familière. Nous sommes donc un groupe (combien ? Je ne sais pas peut être 7, peut-être 9, en tout cas assez pour être appelée un groupe) qui regarde les vagues déchaînées se jeter contre la falaise. La pleine lune éclaire comme en plein jour,  pas un nuage ne vient la cacher. Les arbres derrière nous se plient en deux sous la force du vent qui fouette notre visage comme en plein cœur d'un orage. Pourtant il ne pleut pas, aucun éclair ne nous illumine et le tonnerre ne se fait pas entendre. L'odeur salée de la mer nous parvient malgré la hauteur et les remous résonnent dans notre corps, nous faisant frissonner. Le phare resté allumé afin d'aider les marins pris dans la tempête, n'éclaire plus que très faiblement. Sans doute qu'une fois le pétrole consumé la lumière faiblit, à l'image d'une allumette où le feu lécherai  les derniers centimètres de son bout de bois. Son halo lumineux tourne toujours à la même cadence mais il n'est plus aussi droit,  plus aussi vaillant qu'autrefois. D'ailleurs le phare en lui-même semble tomber en morceaux ; la peinture est écaillée, le ciment se détériore, on s'attendrait presque à voir le fantôme du vieux gardien revenir pour nous chasser d'ici.

    Au cœur de cette nuit tumultueuse nous attendons patiemment. Personne ne parle, tous retenons notre souffle durant ces quelques minutes, priant pour que la magie opère rapidement. 

    Enfin notre patience est récompensée. Un bateau de marchandise dérive jusqu'à nous, porté à bout de bras par les vagues en colère. Les hommes à l'intérieur ne semblent plus le contrôler, préférant délaisser le gouvernail pour se protéger. Même s'ils l'auraient voulus ils n'auraient pas pu tant la force qui les projettent de part et d'autre du navire est puissante. C'est comme si une main géante s'amusait à les pousser un coup à gauche, un coup droite. Un vrai manège à sensation forte ; en avant,  en arrière. Leur attraction prend brutalement fin lorsque le bateau vient se fracasser à nos pieds. Au bruit assourdissant des vagues, se rajoute celui du bois se fendant en deux et les cris d'agonie de ces hommes voyant la mort pour la première fois. Et la dernière. Les vagues cruelles recrachent par-ci, par-là des débris du navire, mais aucune trace des corps des marins. Ils ont coulés vers le fond des abîmes où nul ne pourra les retrouver. Tout se passe si vite quand quelques secondes il ne reste plus aucune trace du drame qui vient de se dérouler. La mer est toujours agitée, les arbres pliés, le phare allumé et à l'horizon un bateau se dessine. 

    Voilà ce que je vois quand je ferme les yeux.

    FIN


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