• Nouvelles

    Dans cette rubriques vous retrouverez toutes les nouvelles qui me sont venues à l'esprit depuis que j'ai commencé à écrire.

    Je vous pris d'être indulgent envers ces histoires puisque certaines datent du collège ou du lycée.

    Bonne lecture !

  • Un cœur chocolat

    D’aussi loin que je me souvenais je n’ai jamais aimé le chocolat. Cette consistance indéterminée, parfois dure parfois liquide, ce goût d’amertume qui fondait dans la bouche et nous laissait complètement assoiffé. Je n’aimais pas cette odeur opaque qui emprisonnait notre odorat avec sa nuance sucrée. Ni cette couleur terne, sans saveur, qui me faisait davantage penser à la boue après une nuit d’orage en forêt qu’à une sucrerie appétissante. Je n’étais pourtant pas allergique mais le goût ou même l’odeur me soulevait le cœur au point que je devais m’écarter rapidement si je ne voulais pas causer un accident. Je n’aimais pas le chocolat et pourtant le monde entier était rempli de cette gourmandise.

    Ne serait-ce que chez moi. Mon cousin en fabriquait, ma sœur en vendait, mes parents eux ne pouvait passer un repas sans avoir un morceau avec leur café, mes grands-parents en prenait matin, midi et soir. Le pire c’était les repas de famille lorsque les invités venaient chargés de paquets de dégustations ou lorsque venait le moment du dessert. Gâteau au chocolat, crème au chocolat, fondant, tiramisu, bûche … tout prétexte était bon pour parsemer de ce parfum écœurant les plats sucrés. Je n’arrivais pas à comprendre cet engouement pour ce carré noir qui, selon les dires de mes proches, « vous transportait » de bonheur. Tout le monde autour de moi semblait ressentir le même plaisir et je me retrouvais seul avec mon dégoût. Ça ne me gênait pas en soi. J’avais compris depuis longtemps que mes goûts, bien éloignés des autres, pouvaient surprendre ; je m’en étais fait une raison, ma famille aussi en avait pris son parti et me laissait tranquille.

    Glissant mon regard sur les maisons avoisinantes, je continuais mon chemin toujours dans mes pensées. A ma gauche des habitations, datant sûrement des années 50 ou 60, elles étaient construites en surplombant la route. C’était sans aucun doute des familles ayant leurs générations implantées dans la région depuis des années, voir des siècles, qui y vivaient. Tous se connaissaient entre eux, connaissaient les grands-parents et les petits enfants des voisins. Les enfants allaient à l’école ensemble, sortaient en groupe et parfois même se mariaient entre eux. C’était une communauté acceptant difficilement le changement pensais-je.

    A ma droite un grillage me séparait du chemin de fer. Il était vieux, rouillé par endroit, penché à d’autres et l’herbe l’envahissait peu à peu. Par moment on pouvait apercevoir une brèche par laquelle de nombreux animaux passaient ; souris, mulots, hérissons, musaraignes et même des plus gros, au vu des poils restés accrocher aux mailles. Lorsque le soleil se couchait derrière les maisons on pouvait apercevoir les ombres des bâtiments se projeter sur les rails tandis que la lumière de l’astre venait colorer d’orange la butée voisine. Je continuais de suivre les rails qui s’éloignaient en direction de la gare. Ce n’était plus une voie aussi fréquentée qu’avant, les trains de voyageurs ne passaient que deux fois par jour ; le matin et le soir. A vrai dire seuls les trains de marchandises circulaient encore fréquemment. Elle n’était plus entretenue régulièrement et la nature reprenait légèrement ses droits.

    Pourtant j’aimais le paysage qu’elle m’offrait. Ce sentiment de vie qu’elle dégageait avec ses événements passés, présents, futurs. La voie ferrée avait une histoire que je ne me lassé pas de découvrir. Elle était remplie d’émotions, toutes aussi variées les unes des autres. Tristesse, confusion, incertitude, joie, excitation, crainte, curiosité, appréhension, rancune, fierté. Jusqu’à l’année dernière je passais à côté tous les jours pour me rendre à l’université. Un moment dont je me souvenais toujours avec le sourire. Il n’y avait pas spécialement de raison à cela. Le simple fait de marcher en suivant les rails empêchait les sombres pensées devenir envahir mon cerveau. Comme un porte-bonheur qui nous protégeait du mauvais sort, le train signifiait pour moi douceur et joie de vivre.

    J’arrivais enfin à la gare. En réalité il s’agissait d’un bâtiment tout simple de quatre murs, une fenêtre et deux portes ; l’une donnait sur la route, l’autre sur la voie ferrée. C’était davantage un abri qu’une gare, il n’y avait même pas de guichet, ni même de contrôleur. Seuls les villageois prenaient le train le matin pour se rendre dans la grande au Nord et rentrait chez eux le soir par le train de 19h. Personne ne venait délibérément par ici. Il n’y avait rien. Pas de magasins, pas de temple, pas de quoi attirer les touristes. Si jamais un étranger venait s’échouer dans les environs il lui faudrait acheter un titre de transport à la gare de la grande ville, à 20 kilomètres au Nord. Ou en demandais un au contrôleur. Je m’assis sur l’unique banc, fixé dans l’angle, près de la fenêtre, d’ici j’avais une vue parfaite sur les rails. Je connaissais les passages des trains par cœur à force de les regarder passer. Je savais que j’avais exactement dix-huit minutes avant qu’un train de marchandise ne vienne déranger le silence qui régnait.

    A chaque fois que j’avais un jour de congé je venais m’étendre ici, contempler le paysage, attendre les trains avant de regagner ma maison. Je ne m’en lassais pas. J’avais même besoin de la gare, s’en était devenu presque vitale. Certaines personnes se ressourçaient à la mer, d’autres à la montagne, moi c’était près des voies ferroviaires. Si j’avais un coup au moral, si j’apprenais une bonne nouvelle c’est ici que je venais pour me laisser envahir par les émotions. Cet endroit me « transportais » pour reprendre les termes de ma famille sur le chocolat.

    Ce qui me semblait plus logique. Un train emmener des voyageurs ; c’était même son but premier. Donc oui il transportait des passagers, nous permettant de voyager d’une ville à une autre, parfois d’un pays à l’autre. Que des rails me fasse ressentir cette sensation d’être transporté était donc normal. Alors pourquoi le chocolat procurait la même chose quand son but était de nous nourrir ? J’avais beau y réfléchir je n’arrivais pas à le comprendre.

    Je pris dans ma poche un petit carré que j’avais emporté avec moi en sortant de la maison. Pour l’instant il était enveloppé dans son papier d’aluminium, aucune odeur, aucune couleur ne laissait penser qu’il s’agissait de chocolat. Seule l’indication « Chocolat Lait » nous donnait une information sur le contenu. J’avais décidé d’y goûter pour me faire une idée sur ce que les gens pouvaient ressentir en avalant cette gourmandise. Je n’avais pas pris un chocolat trop fort, voulant commencer en douceur. Le lait devait atténuer ce goût opaque que je devinais d’après l’odeur. Avec lenteur j’enlevais la protection et fis tourner plusieurs fois la sucrerie avant de me décider. Je pris un morceau entre mes dents et croqua.

    La première sensation du chocolat sur ma langue me donna un haut de cœur mais je réussis à le surmonter afin de continuer mon expérience. Une fois mon dégoût reléguait au second plan je pris mon temps pour analyser ce que je ressentais. Comme je l’avais supposé le goût opaque était beaucoup plus faible que l’odeur originale, dû à la présence du lait, mais en aucun cas je ne retrouvais ce goût sucré que j’aimais. Pouvait-on appeler cela une sucrerie ? Lorsque j’avalais ma paroi se para d’une légère couche qui m’irrita aussitôt. J’avais bien fait de prendre une bouteille d’eau avec moi, pensais-je en buvant une gorgée. Cette sensation n’était vraiment pas agréable et malgré l’eau un certain arrière-goût persistait toujours faiblement. En grimaçant j’observais le carré de chocolat entamer ; devais-je le finir ?

    Je n’aimais pas laisser des restes mais cette expérience ne m’avait toujours pas convaincue sur les biens faits du chocolat. J’avais pensé que le fait d’y goûter dans un environnement agréable aurait pu jouer sur la dégustation, pourtant ce n’avais pas été le cas. Ma première impression s’était consolidé une fois le morceau avalé. Ce goût, cette odeur, ce sentiment qu’il me procurait ; le chocolat n’était vraiment pas fait pour moi.

    Le train de marchandise passa au même moment, brisant le silence et ma réflexion. De la fenêtre je vis des wagons recouverts de bâches passaient à toute vitesse dans un vacarme infernal. Durant ces quelques secondes il était impossible de parler, ni même de se concentrer. En regardant à ma montre je constatais que le train était pile à l’heure. Comme de coutume. Je souris devant cette ponctualité et me leva. En grimaçant j’avalais d’une traite le chocolat que je tenais toujours et me dirigea vers la sortie. Je n’aimais pas le chocolat, j’en avais encore eu la confirmation cet après-midi, mais j’aimais les trains. Tous deux, à leur façon, « transportait », bien que je fusse incapable de l’exprimer par des mots.

    FIN


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